Terrains pollués : la responsabilité du propriétaire

Wertenschlag_Bruno_EBWR3136Bruno Wertenschlag
Avocat Associé, Spécialiste en droit immobilier et en droit de l’environnement
Société d’avocats Fidal
Intervenant EFE à la formation « Sols pollués », le 3 juillet 2013 à Paris

Il était une fois un rentier qui vivait de ses rentes, en l’espèce un bon loyer servi rubis sur l’ongle par une société industrielle, locataire d’une de ses propriétés. Locataire certes peu regardant sur la nature des impacts causés par son activité à l’environnement du site, mais bon payeur. Les meilleures histoires ayant une fin,  un jour l’industriel partit, abandonnant le site à l’état de « musée de la pollution », truffé à des degrés variables de produits et substances suintant et percolant un insidieux goutte à goutte dans le sol et la nappe phréatique.

En ces temps heureux, tout allait bien dans le pré du rentier car le propriétaire n’assumait en aucune manière de responsabilité en sa seule qualité de propriétaire, vis-à-vis de l’administration pour les dommages causés à l’environnement et le site pouvait donc être laissé en son état de dégradation écologique.

Mais, depuis lors, de l’eau a coulé sous les ponts et les magistrats de l’ordre judiciaire et de l’ordre administratif, conjuguant leurs réflexions juridiques, ont consacré la possibilité de mettre en cause le propriétaire foncier en tant que tel, sur la base de la législation relative aux déchets, à la condition que l’administration prouve que « tout autre détenteur de déchets est inconnu ou a disparu […] »[1].

Cette responsabilité dure trente ans à compter de la date du fait générateur du dommage[2]. Passé ce délai, le propriétaire ne pourra plus être mis en demeure par l’administration de remettre le site en l’état ou de procéder à la gestion des déchets présents. Voilà qui est bien long.

Les propriétaires immobiliers sont donc désormais confrontés à une fatalité, celle d’une mise en cause de leur responsabilité, au titre de la législation relative aux déchets, dans le cas où leurs locataires exploitants industriels abandonneraient les lieux sans procéder à la dépollution du site loué. Face à ce spectre d’une responsabilité infinie[3], les propriétaires auront donc intérêt à soigneusement encadrer contractuellement les obligations environnementales de leurs locataires, quitte à augmenter l’épaisseur des contrats de location. Quelques pages d’écriture pour prix de la paix éternelle, ce n’est pas si cher payé.


[1] Sa responsabilité n’est en outre engagée que sur la démonstration d’une faute ; mais celle-ci peut consister dans une simple négligence : CE, 1er mars 2013, req. N° 348912, M. Hussong, conclusions Xavier de Lesquen ; CE, 1er mars 2013, req. n° 354188, Société Natiocredimurs et société Finamur, conclusions Xavier de Lesquen ; CE, 26 juillet 2011, req. n° 328651, Palais-sur-Vienne (Cne), au Lebon ; AJDA 2011.1528 ; D. 2011.2694, obs. F. G. Trébulle ; AJCT 2011.572, obs. M. Moliner-Dubost ; conclusions Mattias Guyomar in Revue Juridique de l’Economie Publique, n° 697, mai 2012, comm. 26 ; Environnement n° 12, Propriété et détention des déchets, Billet ; AJDI 2012.361, obs. B. Wertenschlag et T. Geib. La Cour de cassation est encore plus coupante et juge « qu’en l’absence de tout autre responsable, le propriétaire d’un terrain où des déchets ont été entreposés en est, à ce seul titre, le détenteur […] à moins qu’il ne démontre être étranger au fait de leur abandon et ne l’avoir pas permis ou facilité par négligence ou complaisance » ;  Cass. civ. 3ème, 11 juillet 2012, n° 11-10478, publié au bulletin ; Dalloz 2012, p. 2208, obs. M. Boutonnet ; AJCT 2012, p. 629, obs. Moliner-Dubost ; JCP N, n° 48, 30 novembre 2012, 1381, obs. S. Le Chuiton ; AJDI 2012, p. 766, obs. B. Wertenschlag et T. Geib.

[2] Article L. 152-1 du code de l’environnement.

[3] Tant il est vrai que, dans le monde des affaires, trente ans confinent à l’éternité.

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