L’audit énergétique des grandes entreprises : un casse-tête pour les foncières immobilières !

Véronique LagardeVéronique Lagarde
Avocat associé
DENTONS EUROPE

Un « audit énergétique » doit être réalisé par les grandes entreprises avant le 5 décembre 2015.

Les professionnels de l’immobilier peuvent s’étonner de cette nouvelle obligation d’audit énergétique qui semble venir s’ajouter à une série de mesures déjà existantes en matière de consommation énergétique des bâtiments, telles que le diagnostic de performance énergétique (DPE) individuel ou collectif ou encore l’audit énergétique des immeubles d’habitation en copropriété de plus de 50 lots instaurés par l’article L134-4-1 du Code de la Construction et de l’Habitation en application de la loi Grenelle II.

Pour mémoire, cette obligation d’audit est issue de la transposition en droit français de la directive 2012/27/UE relative à l’efficacité énergétique du 25 octobre 2012. La directive « efficacité énergétique » est venue remplacer la directive « services énergétiques » de 2006 et traite de tous les maillons de la chaîne énergétique : production, transport, distribution, utilisation, information des consommateurs.

Ce cumul d’obligations de mesurages énergétiques tient au fait que les textes relatifs à la performance énergétique des bâtiments trouvent leur source dans une autre directive plus spécifique, la Directive 2010/31/UE du Parlement européen et du Conseil du 19 mai 2010 sur la performance énergétique des bâtiments, déjà transposée voire anticipée par les lois dites Grenelle I et II.

Il en résulte pour les investisseurs une impression de « déjà-vu », qui se double d’une désagréable impression d’incohérence quand on examine les conditions d’application de cette nouvelle obligation.

En effet, les textes de transposition de la Directive « efficacité énergétique » ont vocation à s’appliquer aux grands utilisateurs et ne sont pas adaptés à l’industrie de l’investissement immobilier locatif.

Transposée par la loi DADDUE n°2013-619 du 16 juillet 2013 et codifiée au chapitre « Performance énergétique de l’entreprise » à l’article L.233-1 et s. du Code de l’Energie, l’obligation d’audit énergétique a été précisée par deux décrets et un arrêté des 4 décembre 2013 et 24 novembre 2014.

L’obligation d’audit s’applique aux entreprises et à certaines entités assimilées qui, pour les deux exercices comptables consécutifs précédant la date d’obligation d’audit, remplissent un des trois critères suivants : un effectif excédant 250 personnes ; un chiffre d’affaires annuel excédant 50 millions d’euros ou un total de bilan dépassant 43 millions d’euros.

Lorsqu’une entreprise remplit ce critère, elle doit réaliser un audit couvrant un pourcentage «du montant des factures énergétiques acquittées par l’entreprise, telle qu’identifiée par son numéro Siren». Le numéro Siren étant l’identifiant de neuf chiffres attribué à chaque unité légale, il ne reflète pas la notion de groupe de sociétés. Ainsi, une société foncière détenant ses actifs immobiliers via des filiales en « rateau » ou par classes d’actifs pourrait remplir les seuils de manière consolidée sans qu’aucune des entités juridiques ne les remplissent individuellement. Elle sera donc en principe hors du champ de l’obligation d’audit.

Cette situation est donc très différente de celle rencontrée en manière de reporting RSE où la notion de groupe non seulement prise en compte mais aussi aménagée grâce à un possible renvoi au rapport de la société mère.

Autre difficulté, les textes n’envisagent absolument pas la notion de location et de refacturation de l’énergie à l’utilisateur, le seul critère à prendre en compte étant celui de l’entité « s’acquittant de la facture énergétique ».

Pour les immeubles multi-locataires, le bailleur s’acquittera généralement des factures énergétiques afférentes aux parties communes ou aux équipements communs. Le preneur s’acquittera des factures énergétiques afférentes au local loué pour ses propres abonnements mais se verra refacturer l’énergie des parties communes ou des équipements communs.

C’est donc en réalité l’utilisateur qui devrait être le seul visé par l’audit énergétique et non les foncières immobilières qui ne font que refacturer l’énergie. Le législateur risque donc de manquer une partie de sa cible en matière d’énergies consommées dans les bâtiments par manque de précisions dans les textes d’application.

Certains profiteront de cette imprécision pour échapper à l’obligation d’audit grâce à une application stricte des textes en jouant sur l’autonomie de chaque entité juridique, tandis que d’autres adopteront une lecture de « groupe » dans la logique de leur politique développement durable ou par crainte des sanctions, au risque de créer un précédent qui limitera un changement de pratique à l’avenir.

La sanction encourue en cas de manquement à l’obligation d’audit est, en effet, une amende « dont le montant est proportionné à la gravité du manquement, à sa situation, à l’ampleur du dommage et aux avantages qui en sont tirés » et ne peut excéder 2% du chiffre d’affaires hors taxe du dernier exercice clos et qui peut être portée à 4% en cas de nouveau manquement.

En conclusion, une amélioration des critères réglementaires serait bienvenue pour permettre aux foncières qui ont déjà beaucoup œuvré dans ce domaine de travailler sur des bases unifiées permettant une véritable comparaison des performances de leur patrimoine.

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