Introduit dans le but d’obliger les metteurs sur le marché des produits de consommation courante de financer la fin de vie de leurs produits, le principe de la responsabilité élargie des producteurs (« REP ») a connu sa première application en France avec le décret du 1er avril 1992 portant sur les déchets d’emballages ménagers. Il a ensuite été repris par le législateur européen (directive n°94/62/CE sur les déchets d’emballages) et étendu à d’autres produits de consommation courante (directives sectorielles, directive-cadre n°2008/98/CE).
Après 25 ans de pratique, le principe est arrivé au point culminant de son existence et voit son organisation et ses modalités de fonctionnement remises en question. L’absence de communication entre les acteurs des filières et la faiblesse des financements de la recherche et du développement mettent inévitablement à mal les objectifs de recyclage et freinent le développement de l’écoconception (v. notamment les travaux de la Commission sur le Paquet « Économie circulaire », voir également la Stratégie européenne sur les plastiques COM(208) 28 final du 16 janvier 2018).
De nombreuses propositions d’amélioration du dispositif de la REP circulent aussi bien au nouveau européen, qu’au niveau national.
Le projet de révision de la directive-cadre relative aux déchets n°2008/98/CE, actuellement en première lecture devant le Parlement européen, intègre ainsi une page entière d’exigences qui devront être appliquées aux régimes de responsabilité élargie des producteurs.
De nombreuses réflexions d’amélioration de la REP sont également menées aux niveaux locaux. En France, une mission de réflexion sur l’avenir des filières REP françaises a été confiée par le Ministre de la transition écologique et solidaire, Nicolas HULOT, et le Ministre de l’Économie et des finances, Bruno LE MAIRE, à la Commission des filières de responsabilité élargie des producteurs, présidée par M. Jacques Vernier, le 28 novembre dernier.
Or, alors que cette Commission s’apprête à rendre son rapport sur les causes du problème et les évolutions du dispositif des REP qui permettraient d’y remédier[1], un nouveau coup de tonnerre viens assombrir plus encore le ciel de la REP.
La Chine a, en effet, annoncé, le 18 juillet 2017, sa décision d’interdire l’importation sur son territoire, à compter du 31 décembre 2017, de 24 catégories de déchets recyclables et d’en restreindre l’importation de 13 autres catégories à compter du 1er mars 2018.
Premier fabricant mondial d’objets en tout genre, la Chine était jusqu’à présent le premier consommateur mondial de matières premières issues du recyclage. Plus de 8 millions de tonnes de déchets de papier/carton et près de 2,6 millions de tonnes de déchets de plastiques collectés en UE partaient ainsi chaque année en Chine et ces volumes ne cessaient de croître. Tous ces déchets sont désormais interdits d’import en Chine (seules les chutes industrielles de plastique et les quelques sortes supérieures de déchets de papier/carton présentant des taux d’impuretés inférieurs à 0,5%, sont encore acceptés).
Motivée par la volonté de pousser la croissance de l’industrie locale de collecte et de recyclage, jusqu’alors quasi inexistante, la décision chinoise laisse orphelines des millions de tonnes de déchets dans le monde entier. Les marchés locaux des matières recyclées concernées surabondent, faisant chuter leurs prix de vente. De nombreuses industries consommatrices du recyclé, qui jusqu’à présent achetaient ces matières, se font, désormais payer pour continuer à les prendre ! De nombreuses matières, devenues à valeur négative, terminent en décharges/incinération.
Les industriels de la collecte et du négoce de déchets recyclables, qui ont été le premier maillon de la chaîne à subir la situation, commencent à dénoncer leurs marchés au nom de la théorie de l’imprévision. Les collectivités, qui peinent à estimer l’impact des pertes des recettes provenant de la vente des matières issues du recyclage et des surcoûts induits par la nécessité soudaine de les envoyer en enfouissement/incinération, commencent à tirer l’alarme. Les éco-organismes, qui parviennent encore à esquiver les interrogations sur la prise en charge des coûts de la crise, finiront par devoir intégrer cette nouvelle donne du marché du recyclage dans leurs prévisions de gestion. In fine, ce sera encore au consommateur de payer le coût de la crise, soit en contribuant à l’augmentation de la TEOM, soit en payant plus cher la part réservée à l’éco-contribution à l’intérieur du prix des produits achetés.
Ce constat accablant pour la REP souffle pourtant une solution au problème. En effet, s’il y a une personne que les metteurs sur le marché des produits ne pourront décevoir, c’est bien le consommateur ! Or, rien n’est plus simple pour le satisfaire que de le faire payer moins cher que le concurrent. Faut-il encore pour cela que ce « moins cher » soit réellement saisissable. Jusqu’à présent, les mécanismes d’optimisation des éco-contributions n’incitent pas les metteurs sur le marché à se faire concurrence. Les bonus accordés en récompense des efforts déployés en termes écoconception, aussi forts qu’ils soient en pourcentage (ex. : 100 % de majoration pour les emballages en PET opaque), ont des impacts dérisoires sur les budgets de recherche et de développement des producteurs, se comptant en dixièmes de centimes d’euros par produit. La donne changera si les éco-contributions sont généralement revues à la hausse, puis réduites proportionnellement aux gains écologiques proposés par différentes solutions d’écoconception (incorporation de matières issues du recyclage dans les produits neufs, utilisation des matières facilement recyclables, etc.).
Une fois encore, la crise sera la source d’inspiration pour donner une seconde naissance à la REP et au recyclage !
[1] La Commission devait rendre son rapport pour le 20 février 2018.
Evguenia DEREVIANKINE
Avocat au barreau de Paris
Associée responsable des départements « Environnement » et « Douane et logistique »
UGGC AVOCATS