L’autorité environnementale, que d’incertitudes…

Les arrêts du conseil d’État relatifs à la séparation des rôles

Par deux arrêts datant de décembre 2017 (CE, 6 déc. 2017, FNE, n°400559 et CE, 28 déc. 2017, n°407601) le conseil D’État a annulé rétroactivement plusieurs dispositions réglementaires concernant la séparation entre les autorités administratives en charge de l’instruction de demandes d’autorisation et l’autorité environnementale qui doit fournir un avis indépendant sur l’évaluation environnementale de projets.

En effet, dans sa décision du 6 décembre 2017, le Conseil d’État a annulé de manière rétroactive le IV° de l’article R. 122-6 du Code de l’environnement « en tant » qu’il désignait le préfet de région en qualité d’autorité environnementale des projets, à défaut de compétence expresse des autres structures compétentes en matière d’évaluation environnementale.

Celui-ci fonde sa décision sur la directive 2001/42/CE relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programme sur l’environnement et la directive 2011/92/UE concernant l’évaluation des incidences de certains projets public et privés sur l’environnement qui imposent l’établissement d’une autorité compétente, indépendante et objective en matière d’évaluation environnementale.

Cependant, la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après « CJUE ») interprète ces normes et notamment la directive de 2011/92/UE comme ne faisant pas automatiquement obstacle à ce que l’autorité compétente pour autoriser un projet ou assurer la maîtrise d’ouvrage de celui-ci soit également chargée de la consultation en matière d’évaluation environnementale. Il convient alors de s’assurer de la séparation fonctionnelle organisée au sein de cette autorité, c’est-à-dire que l’entité à consulter doit disposer de moyens administratifs et humains propres afin de donner un avis en toute objectivité et une autonomie réelle (CJUE, 20 oct. 2011, C-474/10).

En l’espèce, le conseil D’État estime qu’aucune disposition ne permet d’assurer que le préfet de région dispose de cette autonomie réelle dans le cadre de sa fonction consultative, dans les cas où il est compétent pour autoriser le projet, mais également lorsqu’il est en charge de l’élaboration et/ou de la conduite du projet au niveau local.

Du reste, en appliquant les critères mentionnés par la jurisprudence de la CJUE relatifs aux séparations fonctionnelles au sein d’une même entité, le Conseil d’Etat considère que la Mission Régionale d’Autorité environnement (ci-après « MRAe ») dispose d’une autonomie réelle, alors même qu’elle s’appuie matériellement sur le service régional de l’environnement pour l’instruction des demandes d’avis, qui exerce ses missions sous l’autorité du préfet de région.

Le Conseil d’État censure la compétence d’autorité environnementale du préfet de région, dans sa globalité, même lorsqu’il n’est pas lui-même chargé d’autoriser le projet.

A l’heure actuelle, la place laissée par le préfet est donc vacante

Un projet de décret du 6 juillet 2018 prévoit d’attribuer cette compétence à la MRAe, à l’instar du schéma établi au sujet des plans et programmes depuis 2016.

Pour autant, s’agissant de l’entrée en vigueur de ce décret, selon le projet soumis à consultation, celui-ci ne serait applicable qu’aux demandes d’avis et examen au cas par cas présentés à l’autorité environnementale au lendemain de sa publication. Alors que certains acteurs l’espéraient, le décret ne serait donc pas assorti d’un effet rétroactif, qui permettrait la reprise ou la régularisation des avis rendus depuis le premier arrêt du Conseil D’État, à savoir le 6 décembre 2017.

Cette problématique de la régularisation des procédures est déterminante puisque règne actuellement une insécurité juridique sur les projets ayant fait l’objet d’un avis par le préfet de région, en ce qu’ils sont susceptibles d’être annulés puisque pris sur la base d’une procédure irrégulière.

A ce sujet, il conviendra d’être attentif à l’avis qui sera émis par le Conseil D’État en réponse aux questions qui lui ont été adressées par le Tribunal administratif d’Orléans dans une décision du 24 avril 2018. Ce dernier a en effet interrogé la Haute juridiction pour savoir si l’irrégularité de l’avis environnementale peut-elle être régularisée et dans l’affirmative, à quelles conditions ?

Cependant, pour le moment, les procédures en cours ou à venir, qu’elles aient ou non fait l’objet d’un avis d’une autorité environnementale, sont fragilisées.

Toutefois, il convient de rappeler que l’annulation d’une disposition réglementaire n’entraîne pas, de facto, annulation des dispositions individuelles prisent sur son fondement. En outre, une irrégularité de procédure ne mène pas automatique à l’illégalité de la décision, notamment s’il est jugé que cette irrégularité n’est pas déterminante.

D’une part, s’agissant des autorisations en cours d’instruction qui n’ont pas encore fait l’objet d’un avis, se pose la question de l’autorité vers laquelle se tourner afin de bénéficier d’une procédure régulière. Bien que la MRAe soit désignée pour remplacer le préfet, en attendant le décret, le préfet prendra une décision aux bases fragiles.

En deuxième lieu, s’agissant des autorisations en cours d’instruction qui ont fait l’objet d’un avis, la solution peut être de reprendre la procédure à compter de l’avis de l’autorité environnementale afin d’en sécuriser les fondements. Néanmoins, l’absence de certitude absolue concernant la nouvelle autorité environnementale reste problématique. Du reste, il existe alors un risque de voir le nouvel avis de l’autorité environnementale ou du commissaire-enquêteur diverger de celui issu de la procédure initiale. Les délais d’instruction seront également considérablement allongés.

marie-pierre MaitreMarie-Pierre Maître
Avocate aux Barreaux de Paris et Bruxelles – Associée Gérante
ATMOS Avocats, animatrice EFE à la conférence « Autorisation, autorité et évaluation environnementale » le 18 octobre 2018 à Paris