Le projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et l’économie circulaire : une loi marquante aux conséquences innombrables

La loi sur l’économie circulaire a été annoncée comme la grande loi environnementale du quinquennat. S’inscrivant dans la lignée des lois Grenelle et transition énergétique, elle a pour ambition de nous mettre « en marche » vers une société plus écologiquement responsable.

A lire la première version de janvier 2019, nous avions eu le sentiment que la montagne avait accouché d’une souris ! Courte, sans disposition concrète, le projet de loi se contentait d’habiliter le Gouvernement à prendre des ordonnances.   

La version de juin 2019, présentée au Conseil des Ministres de juillet qui a remanié et complété le projet initial, en particulier par la problématique « anti-gaspillage », était clairement plus volontariste.   

Soumis aux parlementaires via une procédure dite « accélérée », le projet de loi a tout d’abord été présenté au Sénat. Pas moins de 685 amendements ont été déposés dont 660 ont été retenus.

Voté par le Sénat le 27 septembre dernier, ce projet amendé, qui a été déposé à l’assemblée nationale le 30 septembre, est ambitieux, même si certaines dispositions ajoutées à la hâte, ne seront probablement pas retenues in fine.

Mercredi 20 novembre 2019, la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a examiné le projet de loi et les discussions doivent se prolonger tout le mois de novembre devant l’Assemblée Nationale, avant que ne soit convoquée la Commission mixte paritaire qui devra chercher à établir un texte commun aux deux assemblées. Les plus optimistes misent sur une loi votée avant la fin de l’année et en tout état de cause avant mars 2020.

Certaines dispositions du projet de loi, telles qu’amendées par le Sénat, ne sont pas une surprise dès lors que cette loi est destinée, d’une part, à traduire les principales propositions de la « feuille de route pour l’économie circulaire » présentée en avril 2018 par le Gouvernement et, d’autre part, à transposer en droit français les directives du paquet économie circulaire voté en 2018. D’autres dispositions, en revanche, sont beaucoup plus novatrices et symptomatiques de grandes ambitions même si les conséquences n’ont probablement pas toutes été appréhendées à ce stade et qu’il faudra attendre les décrets d’application pour analyser les impacts concrets de cette grande loi. 

Quoi qu’il en soit, ce projet de loi, tel qu’amendé par le Sénat, comporte de nombreuses dispositions.

Il fixe tout d’abord de nouveaux objectifs ambitieux. S’inscrivant dans la lignée de la loi sur la transition énergétique, le projet de loi économie circulaire fixe de nouveaux objectifs de prévention de la production de déchets. Il vise, par exemple, 100% de plastique recyclé d’ici le 1er janvier 2025 ou à réduire de 50% la mise sur le marché d’emballage en plastique à usage unique en 2030 et de 50% en 2040 par rapport à 2030.

Si les objectifs sont ambitieux, la question cruciale reste : comment faire pour y parvenir ?

Le projet de loi mise ensuite sur le renforcement de l’information des consommateurs.

Donner au citoyen l’information qui lui est nécessaire pour agir en conscience ; lui donner plus de pouvoir pour consommer des produits de meilleure qualité et plus durables, tel est l’objectif.

Pour ce faire, le titre premier du projet de loi vise à améliorer l’information du consommateur par voie de marquage, d’étiquetage, d’affichage sur les qualités et caractéristiques environnementales des produits. Il s’agit de mieux informer le consommateur sur la durabilité du produit, sa réparabilité (disponibilité des pièces détachées) et ses caractéristiques environnementales (incorporation de matières recyclées, écoconception, recyclabilité).

Si les précisions doivent être fixées par les décrets d’application, il est clair que les secteurs de l’habillement, des équipements électriques et électroniques, des emballages mais aussi des matériels et équipements médicaux devraient être particulièrement impactés…. 

Le tri doit également être facilité, notamment à travers une généralisation du logo Triman sur les emballages destinés à la collecte sélective.

A cet égard, l’Etat et les collectivités publiques seront également impactés. Ainsi, à compter du 1er janvier 2021, il est prévu que les bien acquis par les services de l’Etat ainsi que par les collectivités territoriales et leurs groupements devront être issus du réemploi et intégrer des matières recyclées dans des proportions d’au moins 20%.

Par ailleurs, afin de lutter contre le gaspillage, le projet de loi incite à un changement de paradigme en interdisant la destruction des produits.

Alors que la loi Garot a déjà proscrit la destruction des produits alimentaires invendus, le projet de loi économie circulaire renforce cette interdiction en prévoyant la cession de ces invendus à des associations et la mise en place de sanction en cas de non-respect de cette obligation.

Mais, au-delà de la lutte contre le gaspillage alimentaire, le projet de loi étend l’anti-gaspillage aux produits non alimentaires, en interdisant la destruction des invendus et en prévoyant leur réemploi, notamment par le don des produits de première nécessité à des associations de lutte contre la précarité. Il est clair que de telles dispositions devront amener les entreprises concernées à changer leurs habitudes dès lors que chaque année près d’un milliard d’euros d’invendus non alimentaires sont détruits alors qu’ils pourraient être donnés, réutilisés ou recyclés.

L’une des mesures phare du projet de loi est le retour de la consigne pour réduire l’impact environnemental des plastiques.

De fait, l’état des lieux sur la pollution générée par les plastiques est édifiant. Nul besoin de revenir sur le « continent plastique », les micro polluants plastiques dans les mers, les impacts sur la faune aquatique, tant les informations sur le sujet sont marquantes. Quant à la nécessité d’agir, même les moins écologiquement responsables sont convaincus par la nécessité de prendre des mesures. La question est : Quelles mesures ?

A cet égard, le principe de la mise en place, par les producteurs ou leur éco-organisme, d’une consigne pour réemploi ou réutilisation des produits consommés ou utilisés par les ménages, semble acquise dès lors que le dispositif de consigne est nécessaire pour atteindre les objectifs de réemploi et prévention fixés par la réglementation. En revanche, la problématique de la consigne pour recyclage envisagée par le gouvernement est davantage problématique. Supprimée par le Senat, restaurée par la Commission des finances de l’Assemblée nationale, soutenue par les uns, à savoir Madame la Secrétaire d’Etat Brune Poirson, l’éco-organisme Citéo et le Collectif boisson, décriée par les autres…. Outre le fait qu’elle contrevient au principe de la hiérarchie des modes de gestion fixé par le droit européen, les études ne montrent pas son efficacité et sa mise en œuvre pose des problèmes pratiques dont il n’est pas sûr que le jeu en vaille la chandelle. C’est en tout état de cause, un point qui devra être tranché.

Mais le cœur de ce projet de loi est sans nul doute le développement des filières de responsabilité élargie des producteurs.

Alors que le droit européen n’impose la responsabilité élargie des producteurs de produits que pour certains types de produits limités,  tels  les emballages, les équipements électriques et électroniques… la France se tourne résolument, pour la gestion de ses déchets, vers la mise en place et le développement des filières REP prévoyant qu’ « il peut être fait obligation par voie réglementaire à toute personne physique ou morale qui élabore, fabrique, manipule, traite, vend ou importe des produits ou des éléments et matériaux entrant dans leur fabrication, dite producteur…. de pourvoir ou de contribuer à la prévention et à la gestion des déchets, d’adopter une démarche d’éco-conception des produits, de soutenir les réseaux de réemploi et de réparation… ».

Le projet de loi prévoit une extension des produits couverts par la REP (1), mais également une extension de la notion de producteur du produit (2) ainsi qu’un élargissement des coûts devant être couverts par le producteur du produit (3).

1. Sur l’extension des produits couverts par la REP

Dans la rédaction actuelle du code de l’environnement, il n’est pas aisé de distinguer les filières réglementées, des filières véritablement REP ;

Le projet de loi insère une sous-section 2 à la Section 2 du Chapitre 1er du titre IV du livre V du code de l’environnement intitulée clairement « Filières soumises à la responsabilité élargie du producteur ». Le nouvel article L.541-10-1prévoit que les produits soumis à REP sont :

1 Les emballages de produits consommés par les ménages, y compris hors foyer (CHR)

2 Les emballages utilisés par les professionnels (DEIC)

3 Les imprimés papiers, ménagers et assimilés ;

4 Les produits ou matériaux de construction du secteur du bâtiment destinés aux ménages ou aux professionnels

5 Les équipements électriques et électroniques (EEE) utilisés par les particuliers ou les professionnels ;

6  Les piles et accumulateurs ;

7  Les produits chimiques ménagers ;

8  Les médicaments

9 Les dispositifs médicaux perforants utilisés par les PAT y compris les EEE associés

10 Les éléments d’ameublement ;

11 Les produits textiles d’habillement, des chaussures ou du linge de maison ;

12 Les jouets

13 Les articles de sport et loisirs

14 Les articles de bricolage et de jardin

15  Les voitures particulières, camionnettes, véhicules à moteur à 2 ou 3 roues

16 Les pneumatiques

17 Les huiles minérales et lubrifiants

18 Les navires de plaisance ou de sport ;

19 Les produits du tabac équipés de filtres

20 Les gommes à mâcher

21 Les lingettes pré-imbibées pour usages corporels et domestiques

22 Les filets de pêche et chaluts usagés

Outre les 21 types de produits listés, un amendement apporté par le Sénat prévoit que peut être soumis à la REP, à compter du 1er janvier 2020, « tout produit… qui ne s’intègre dans aucune filière de recyclage disposant d’une capacité suffisante pour accueillir le gisement national de déchets de ce type. Toutefois, les produits de type mis sur le marché, produits ou importés par une personne physique ou morale responsable de la mise sur le marché de moins de 10 000 unités du produit concerné ou réalisant un chiffre d’affaires intérieur à 10 millions d’euros ne sont pas soumis à la responsabilité élargie du producteur… ; »

S’il n’est pas certain que cet amendement soit maintenu, il n’en reste pas moins que le champ des filières REP s’élargit considérablement.

Certes, il n’est pas non plus certain que les gommes à mâcher ou les filets de pêche et chaluts usagés soient maintenus après l’examen par l’Assemblée nationale. De même, la mise en place d’une REP relative aux lingettes pré-imbibées pour usages corporels et domestiques, qui est pourtant très problématique pour les stations d’épuration, est encore en discussion.

En revanche, la création de nouvelles filières à responsabilité élargie des producteurs sur les jouets, les mégots, les articles de sport et de loisir, les articles de jardinage semble actée et devrait créer des incitations pour mieux concevoir ces produits, en  permettant une meilleure gestion.

De même, il faut noter une extension de la REP emballages. Sont, en effet, rentrés dans le champ de la REP (conformément aux obligations faites par le droit européen), les emballages des produits consommés par les ménages hors foyer dans les cafés, hôtels et restaurants (dit emballage CHR) et surtout les emballages utilisés par les professionnels (dit emballage DEIC). Si le principe de cette extension est acté, il faudra voir comment le système peut se mettre en place, en pratique, en s’appuyant sur des schémas de gestion existants qui ont fait leur preuve. 

Concernant les déchets d’activité de soins à risques infectieux produits par les patients en auto traitement, le projet de loi étend la REP aux dispositifs médicaux perforants utilisés par les patients y compris les équipements électriques et électroniques (EEE) associés qui avaient été ajoutés au cahier des charges de l’éco-organisme sans fondement législatif. Si l’on comprend bien la nécessité d’étendre la REP existante aux produits complexes, on comprend mal que cette extension soit limitée aux EEE sans intégrer les piles. On comprend encore plus mal, que selon la dernière mouture du projet de loi, un même type de produit puisse selon les cas être géré soit par la filière DASTRI, soit par la filière DEEE. 

Concernant les produits ou matériaux de construction du secteur du bâtiment destinés aux ménages ou aux professionnels, alors que la réglementation actuelle fait peser des obligations sur les distributeurs des produits et matériaux, la loi économie circulaire revient sur un système plus classique faisant peser des obligations sur le producteur du produit en vue d’une meilleure gestion des produits de BTP.

A noter par ailleurs que le projet de loi prévoit que lors des travaux de démolition ou réhabilitation significative de bâtiment, le maître d’ouvrage sera tenu de réaliser un diagnostic relatif à la gestion des produits, matériaux et déchets issus de ces travaux. Si un décret doit fixer les catégories de bâtiments et la nature des travaux de démolition ou réhabilitation concernés par l’obligation de diagnostic, il est clair que la loi économie circulaire aura un fort impact sur le secteur du BTP.  

Autant de secteurs d’activité, autant d’entreprises qui vont être fortement impactés par cette loi et ce d’autant que la notion de producteur du produit qui est au cœur du système de REP, fait l’objet d’une définition extensive.

2. Sur l’extension de la notion de producteur

Par principe, le principal débiteur de l’obligation de pourvoir ou de contribuer à la gestion des déchets faisant l’objet d’une REP est le producteur des produits.

Aux termes de l’article 8 de la directive 2008/98 relatif aux régimes de REP, il est prévu que « En vue de renforcer le réemploi, la prévention, le recyclage et autre valorisation en matière de déchets, les États membres peuvent prendre des mesures législatives ou non pour que la personne physique ou morale qui élabore, fabrique, manipule, traite, vend ou importe des produits (le producteur du produit) soit soumise au régime de responsabilité élargie des producteurs. »

Jusqu’ici le droit français prévoyait à l’article L.541-10 du code de l’environnement que : « En application du principe de responsabilité élargie du producteur, il peut être fait obligation aux producteurs, importateurs et distributeurs de ces produits ou des éléments et matériaux entrant dans leur fabrication de pourvoir ou de contribuer à la prévention et à la gestion des déchets qui en proviennent. »

Le projet de loi économie circulaire reprend quant à lui la définition du producteur telle que fixée par le droit européen.

Ce nouvel article élargit donc le champ des acteurs qui peuvent se voir tenus aux obligations de gestion des déchets. Au même titre qu’il existe des producteurs subséquents des déchets, il semble qu’aux termes de la définition du producteur, il puisse y avoir des producteurs subséquents des produits susceptibles de contribuer aux coûts de couverture de gestion des déchets

3. Sur l’élargissement des coûts ouverts par le producteur

Initialement, les producteurs des produits soumis à REP devaient verser des éco-contributions couvrant la totalité des coûts de la gestion opérationnelle des déchets financièrement à la collecte et au traitement des déchets générés par leurs mises sur le marché.

Depuis 2010, cette obligation d’éco-contribution comprend l’obligation de prévenir la production de déchets par l’éco-conception ou l’innovation.

Cette obligation va être renforcée avec la mise en place et la généralisation de l’éco-modulation à toutes les filières REP pour en faire un outil incitatif. La modulation doit prendre la forme d’une prime accordée par l’éco-organisme au producteur lorsque le produit remplit les critères de performance et prendre la forme d’une pénalité lorsque le produit s’éloigne des critères de performance en fonction des meilleures techniques disponibles identifiées. Les primes et pénalités pouvant s’élever jusqu’à 20% du prix du produit.

Plus encore le projet de loi vise à faire couvrir par les producteurs le traitement des déchets abandonnés, déposés ou gérés illégalement et la dépollution des sols qui en découle. Si la « dépollution des sols » semble circonscrite aux cas des décharges sauvages, il n’en reste pas moins que le coût « d’une dépollution » peut être significatif. En effet, le projet de loi ne parle pas d’une remise en état ou d’une mise en sécurité mais bien d’une « dépollution ». Or, il n’existe pas de définition du terme « dépollution » dans notre code de l’environnement. La question peut donc se poser de savoir ce qu’il faut entendre par « dépollution », ce qui évidemment peut avoir des conséquences financières non négligeable pour les producteurs des produits. En outre, le producteur du produit deviendra un nouvel acteur du droit des sites et sols pollués, ce qui pourrait nécessiter une modification de l’article L.556-3II du code de l’environnement.   

Dans le même esprit, l’article L.211-15 du code de l’environnement, introduit par un amendement du Senat, prévoit que « en application du principe pollueur-payeur, il peut être fait obligation par voie réglementaire à toute personne physique ou morale qui élabore, fabrique, manipule, traite, vend ou importe des produits et matériaux entrant dans la fabrication de pourvoir ou de contribuer à la réduction des impacts négatifs générés par ses produits sur l’eau et les milieux aquatiques. Cette contribution peut prendre la forme ….d’une contribution financière à la dépollution de l’eau… ». Outre le fait que nous retrouvons ici cette même notion de « dépollution » au contour flou, un large spectre de produits pourraient être concernés, tels que : les pesticides, les médicaments….

Certes le gouvernement s’est positionné contre cet amendement, arguant du fait que les producteurs payent déjà des redevances aux agences de l’eau en application du principe pollueur payeur, mais la problématique est posée !  

Enfin, les contributions des producteurs aux éco-organismes pourraient être mécaniquement augmentées afin que ces derniers contribuent à financer le Fond pour Réemploi Solidaire. Les dispositions relatives à la mise en place de ce fond, sont issues d’un amendement voté par le Sénat à l’unanimité. L’objectif de ce Fonds est de contribuer aux financements des associations œuvrant à la sensibilisation à l’environnement et à la prévention des déchets par réemploi, à savoir les « ressourceries ».

Autant de dispositions susceptibles d’impacter durablement les entreprises qui doivent donc apporter une attention toute particulière à cette loi.

Pour aller plus loin, participez à notre formation « Gérer-les-déchets-industriels » du 03 au 04 décembre 2019.

Interview de Marie-Pierre Maître
Avocate aux barreaux de Paris et Bruxelles
Docteur en droit
Associée- Gérante ATMOS Avocats